Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
TraMeZziniMag

Le blog - Revue en ligne des Fous de Venise depuis 2005

Venise en péril

Il y a dans Venise un nombre incroyable de trésors architecturaux en péril. Qu'il s'agisse de la Venise monumentale ou de celle, plus intime et discrète, qu'on nomme la Venise mineure, des pans entiers du passé menacent de disparaître. Ce n'est certes pas nouveau et le processus ne s'est pas vraiment accéléré, mais il devient chaque jour plus urgent d'intervenir et d'intervenir partout. De nombreuses initiatives privées qu'il faut saluer font un travail remarquable depuis des années. Cela a vraiment pris forme quand des quadragénaires vénitiens ont décidé de prendre les choses en main pour faire bouger les choses. Ce fut le fameux groupe des 40 per Venezia. L'idée était bonne mais cela n'a pas longtemps fonctionné, les ambitions politiques des uns et des autres  se sont assez vite avérées très lourdes à gérer et le groupe a fini par mettre la clé sous la porte. Mais ses membres ont eu le temps d'organiser débats, groupes de réflexion, ateliers... Puis un peu partout sont nées des associations comme on en connait en France, qui ont pris en main le nettoyage des murs souillés par les tags et autres graffitis, qui se battent pour la restauration ou le remplacement à l'identique des nizioletti, les encadrés si caractéristiques qui annoncent le nom des rues de Venise, et sont souvent de véritables conservatoires du patrimoine local voire même des laboratoires d'initiative et de réflexion de haut niveau.

Sous le coffrage de bois et de métal, il y a un magnifique portique ancien, qui donnait autrefois accès aux jardins d'une splendide villa,  résidence patricienne fuori città ou d'un casinò. S'il est au moins protégé, personne n'est plus jamais venu pour le restaurer ni pour en relever les trésors : sculptures, blason et autres pièces d'architecture remontant certainement aux XVIe ou XVIIe siècles. Les riverains expliquent que tout le monde se renvoie la balle. La ville prétend ne pas en être responsable, la propriétaire de la maison attenante non plus. Cet arc n'est à personne et pas assez important (nous sommes à la Giudecca !) pour que les Beni Culturali se lancent dans une coûteuse restauration. Et puis ce qu'il y a derrière n'intéresse pas vraiment. Ce sont les Caselle. Un lotissement commencé dans les dernières années du régime fasciste pour loger en urgence des familles sans logement. Typique des constructions sociales de l'ère mussolinienne, les immeubles devaient comporter des appartements disposant d'une salle de bain, de WC, du chauffage central. Mais la guerre allait finir. Les américains venaient de débarquer en Sicile, les allemands occupaient Venise. Les travaux furent interrompus faute d'argent et de matériaux. Le Duce réfugié dans la fantomatique république de Salo appelait les italiens à le rejoindre pour poursuivre le combat, mais la plupart ne croyant plus au fascisme souhaitaient en finir. Beaucoup abandonnèrent l'armée et fuirent leurs régiments, rejoignant leurs familles. En Vénétie, comme partout ailleurs la guerre civile faisait rage, démocrates et communistes contre fascistes et, dans le nord contre les allemands. Les soldats et leurs familles vinrent se réfugier dans le centr historique. On disait partout que le Duce s'était entendu avec les nazis mais aussi avec les alliés pour que Venise soit préservée et que l'aviation ne bombarde pas la Sérénissime. Des réfugiés arrivèrent de partout. C'est ainsi que les immeubles inachevés des Casette furent occupés et aménagés par ces arrivants contraints qui avaient dû laisser leurs fermes, leurs villages. Ce fut longtemps auparavant, un magnifique jardin d'agrément.  Une résidente du quartier, dont le père était un de ces militaires réfugiés sur la Giudecca, m'a raconté que les allemands avaient un campement de l'autre côté du canal. Ils avaient installé un poste d'observation en haut du campanile avec une mitraillette. Chaque jour, pratiquement aux mêmes heures, ils s'amusaient à tirer sur les civils qui passaient sur la Fondamenta et surtout sur les militaires qui le plus souvent avaient leur uniforme comme seuls vêtements. Considérés par les fascistes comme déserteurs et, pire à leurs yeux, communistes, ils étaient des cibles faciles. 

Aujourd'hui, certains des logements, vides depuis des années, sont repris par l'ACAS (Assemblea Sociale per la Casa) une association qui les restaure et les met à la disposition des sans-logements. Etudiants, familles, personnes avec trop peu de revenus pour se loger en ville trouvent ici un habitat solidaire, une vie sociale. Il y a meme depuis quelques années un jardin-potager communautaire. Toutes les décisions sont prises en commun, et nombreux sont les moments festifs. Mais tous les riverains ne sont pas clandestins. Certains sont logés dans des appartements gérés par l'ATER, sorte d'office HLM qui gère ici les logements sociaux. Ils payent un loyer et la taxe d'habitation. Pourtant ces logements sont à la limite de l'insalubre. D'autres, appartenant à des particuliers, sont vides depuis longtemps. Ceux-là ne sont pas squattés. les appartements réquisitionnés étaient abandonnés par le domaine public faute de moyens pour les restaurer. Leurs occupants payent les travaux de mise aux normes pour le gaz et l'électricité. S'ils ne payent pas de loyer, ils s'acquittent des factures d'eau, de gaz et d'électricité, payent leurs impôts. Souvent les intérieurs sont meubles et aménagés avec des matériaux de récupération sous la houlette d'une coopérative qui a passé des accords avec la Biennale et récupère tout ce qui est réutilisable dans les pavillons d'exposition. Cela donne de magnifiques créations dans l'aménagement des cuisines des chambres et dès séjours. Le travail se fait souvent en commun, chacun apportant ses compétences. Aux Casett, on est aidé quand on s'installe et on aide à son tour les nouveaux arrivants. Cela mériterait bien un portail restauré. Mais nous en reparlerons en septembre...

 

Quelques vues des Casette. Mai 2016.
Quelques vues des Casette. Mai 2016. Quelques vues des Casette. Mai 2016.
Quelques vues des Casette. Mai 2016. Quelques vues des Casette. Mai 2016.

Quelques vues des Casette. Mai 2016.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
Une vieille vénitienne de Isola di san Pietro, m'avait dit que beaucoup de logements restaient vides après le décès de leurs propriétaires. Leurs enfants qui vivaient sur le continent, n'avaient pas les moyens de restaurer le bien immobilier pour le louer aux touristes et l'appartement restait inoccupé.
Répondre
A
je vous suis depuis des années , je ne laisse pas de message, pourquoi cette fois .....<br /> mais votre prose, votre culture, vos connaissances historiques et des arts, votre ambition de faire vivre Venise, c'est fantastique.<br /> je me dis que vous enfants ont bien de la chance d'avoir un père comme vous (je suis grand mère!) a bientôt de vous lire
Répondre
M
http://www.humanite.fr/venise-et-ses-monstres-613640 Un article et un livre pour vous! Fidèlement , Marc
Répondre